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Années 1940 et 1950. Une œuvre de maturité demeurée virtuelle

 

Depuis longtemps Descarries souhaitait intégrer le milieu institutionnel de la musique. Dans les années trente, Laliberté contrôlait l’enseignement du piano à l’École Vincent-d’Indy, mais en 1936, il demande à la directrice, sœur Marie-Stéphane, une augmentation de salaire, faute de quoi, écrit-il, il démissionnera. Elle lui répond simplement qu’elle accepte sa démission !... et le remplace par Léo-Pol Morin. Au décès accidentel de ce dernier en 1941, Descarries postule cet emploi, mais on lui préfère Jean Dansereau, davantage relié à la tradition française défendue par Morin.

 

Ce sera plutôt au Conservatoire de musique du Québec que Descarries fera son entrée dans le milieu institutionnel tout en participant, de 1942 à 1949, aux discussions entourant la création de la Faculté de musique de l’Université de Montréal qui voit le jour en 1950. Il est alors choisi comme professeur et on lui confie la responsabilité de créer le programme d’enseignement du piano. Il en devient également le vice-doyen jusqu’à son décès.

 

C’est durant ce mandat qu’il compose, en 1952-1953, l’une de ses dernières œuvres, la Sonate pour piano en trois mouvements (Allegro, Élégie, Toccata), créée par Janelle Fung le 1er novembre 2017. Dans quelles circonstances cette œuvre a-t-elle été écrite ? J’émets ici une hypothèse. Nicolas Medtner décède en novembre 1951. Serait-elle un hommage à ce compositeur russe qu’admirait Descarries ? On sait que le 2e mouvement (Élégie) a été composé à l’été 1952 et le 3e mouvement (Toccata), à l’été 1953. On peut donc supposer que le 1er mouvement (Allegro) ait été écrit à l’hiver 1952, soit quelques mois après le décès de Medtner. De plus, le langage musical évolue dans des harmonies plus complexes qui rappellent le style et la virtuosité de certaines compositions du musicien russe. Mais alors, pourquoi ce silence entourant l’œuvre dont la diffusion n’a eu lieu qu’en 2017 ? Je propose ici trois hypothèses.

 

Auguste Descarries n’a pas adhéré à la Ligue des compositeurs canadiens fondée à Toronto en 1951. Quelles en sont les raisons ? À partir de 1954, la Ligue admet de nouvelles candidatures francophones telles celles de ses collègues de la Faculté de musique Jean Papineau-Couture et Jean Vallerand, et elle organise à Montréal et à Toronto un concert annuel d’œuvres de ses membres. Le compositeur aurait donc pu profiter de l’un de ces concerts pour y présenter la Sonate pour piano. Mais en 1955, la Ligue fixe à 60 ans la limite d’âge[16] pour les futurs candidats, âge qu’atteindra Descarries l’année suivante. Il n’a donc pas déposé sa candidature. L’occasion de faire entendre son œuvre lui a ainsi échappé.

 

De plus, en 1953, nous sommes, au Québec, à l’aube d’une modernité militante en rupture avec la génération précédente et qui fait table rase avec le passé. Elle sera défendue par une nouvelle génération de compositeurs et marquera profondément le discours musical des « Trente Glorieuses ». Au Québec, on situe généralement la naissance de cette nouvelle modernité avec le premier concert de musique contemporaine offert au Conservatoire de musique le 1er mai 1954.

 

Ajoutons en troisième lieu que Descarries représente l’un des derniers interprètes-compositeurs postromantiques. À partir des années cinquante, ces deux métiers ont tendance à se scinder. On entendra de moins en moins de compositeurs interpréter eux-mêmes leurs propres œuvres si ce n’est pour les diriger lorsqu’il s’agit d’œuvres pour grand ensemble. Nous inaugurons ici une nouvelle époque. Descarries décède en mars 1958.

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[16] Cette limite d’âge sera abolie quelques années plus tard.

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